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Jérôme Ducros

Merci à Jérôme Ducros d'avoir répondu aux questions de pianobleu.com pour la réalisation de cette page.

Biographie commentée

Jérôme Ducros est né à Avignon, le 30 novembre 1974..."Nous avons ensuite déménagé à Marseille quand j'avais deux ans." Dans sa famille il a pu écouter nombreux pianistes amateurs jusqu'au jour où il a monopolisé l'instrument : "Mon grand-père était un très bon pianiste amateur (qui, enfant, travaillait le piano en cachette de ses parents : le métier de musicien ne bénéficiait alors pas de la considération que nous lui connaissons aujourd'hui !). Je l'ai beaucoup entendu jouer dans mon enfance. Il avait une prédilection pour Schubert et Chopin (il jouait ce dernier dans l'édition de travail d'Alfred Cortot). Mes parents étaient pianistes amateurs également, et écoutaient beaucoup de musique. Ils ont dû arrêter le piano quand j'ai décidé de l'accaparer !
Il y avait donc un piano à la maison. On me dit que je grimpais sur le tabouret, vers l'âge de six ans, pour tenter de reproduire les airs que j'entendais régulièrement. Le premier impromptu de Schubert avait, paraît-il, ma préférence ! Le piano s'est imposé naturellement, c'était le seul instrument de musique à ma disposition. Et la musique que nous écoutions était le plus souvent de la musique de piano
."
Il prend ses premières leçons de piano vers l'âge de six ans : "Un jour alors que j'avais pris l'habitude de m'asseoir au piano, sans savoir vraiment m'en servir, j'ai entendu le grand frère d'un camarade de classe qui jouait un morceau (Le Tambourin de Rameau, si ma mémoire est bonne…). C'est probablement la première fois que j'entendais un enfant jouer, et ce fut décisif : au retour de cet anniversaire, je demandai à mes parents si je pouvais prendre des cours de piano. Ils m'ont donc inscrit chez leur professeur particulier, Henriette de Peretti, qui m'a fait débuter, et avec qui j'ai travaillé pendant à peu près deux ans. Cela se passait à Marseille."
En 1982, sa famille ayant de nouveau déménagé, il continue de prendre des cours particuliers à Angers avant de s'arrêter une courte période : "J'ai continué les cours particuliers avec deux professeurs successifs : le premier, très souple, qui me laissait jouer des morceaux trop difficiles pour moi, et le second, plus strict, qui a tenté de me remettre dans le droit chemin. Cet antagonisme a dû me perturber : j'ai décidé d'arrêter le piano ! (et puis le tennis me prenait du temps, dans ma chambre deux portraits se faisaient face : celui de Chopin et celui de Noah, qui venait de gagner Roland-Garros !). Pendant deux ans je n'ai plus pris de cours, mais je n'ai pas pour autant laissé tomber la musique : en réalité, j'improvisais beaucoup et je composais… J'ai gardé mes cahiers de musique de cette époque, sur lesquels je griffonnais des Ballades et des Préludes dans une joyeuse inconscience !"
Suite à un nouveau déménagement, cette fois à Orléans, il reprend les études musicales "un beau jour" à l'âge de onze ans : "La frustration de ne pas pouvoir jouer proprement la musique que j'aimais était sans doute trop forte. Nous ne connaissions personne à Orléans, c'est par hasard que nous avons frappé à la porte de Pierre-Yves Merlin, qui devint mon professeur particulier pendant un an ou deux. Pour lui, la tâche était rude : j'aimais la musique, mais j'avais accumulé un nombre incroyable de défauts durant ces deux ans d'autodidaxie. Il a su me replacer la main, tempérer mon impatience, et finalement me préparer à l'entrée au conservatoire d'Orléans.
A partir de 1986 Jérôme Ducros étudie le piano avec Françoise Thinat au Conservatoire d'Orléans : "La rencontre avec Françoise Thinat fut décisive. Passionnée, passionnante, elle réussit à me convaincre que le travail quotidien était la clé de l'expression artistique, que les exercices ne s'opposaient pas à la profondeur de l'interprétation, mais en constituaient un des piliers. C'était la résolution, quelques années après, de cet antagonisme qui m'avait tant perturbé. L'enthousiasme de Françoise était communicatif, l'éclectisme de ses goûts m'ouvrait de nouveaux horizons. Avec elle, j'ai abordé le grand répertoire, j'ai progressé très vite ; elle m'a préparé au CNSM, où je suis entré en 1990."
Jérôme Ducros entre donc au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dès l'âge de 15 ans..." L'âge où la personnalité musicale de l'individu commence à sourdre, et où les faux pas peuvent être très dangereux, où l'autorité peut être aussi dévastatrice que l'absence d'autorité. Gérard Frémy a su me guider très intelligemment. J'ai beaucoup appris avec lui, sa personnalité était très marquante. Mais il ne m'a jamais entraîné vers des chemins qui n'étaient pas les miens. Ses élèves jouaient tous différemment, ce qui est la marque d'un grand professeur. " Deviens ce que tu es ", c'est ainsi, à la faveur des expériences que j'ai vécues, que j'envisage l'enseignement idéal. Je peux dire que j'ai été gâté. Cyril Huvé proposait une vision très complémentaire. Ses cours étaient très différents sur certains points. Il était passionné par le répertoire du XIXe siècle (qu'il abordait souvent sur des pianos d'époque). Sa réflexion sur l'interprétation était empreinte d'une part de sa compréhension profonde du romantisme, d'autre part de sa rencontre décisive avec Claudio Arrau à qui il vouait une admiration légitime, et non dissimulée. Gérard Frémy, lui, avait reçu deux influences très marquantes : celle d'Yves Nat, son professeur à Paris, et celle de Neuhaus, dont il avait été l'élève à Moscou (Guilels et Richter avaient aussi bénéficié de son enseignement, excusez du peu !)."
A la question de savoir quand lui est venue l'envie de devenir pianiste professionnel, Jérôme Ducros répond en invitant à lire un essai : "J'ai mis fin à mes études générales après le bac (littéraire), comme beaucoup de musiciens. J'étais alors au CNSM, et l'étude de l'instrument ne me laissait pas assez de répit pour pouvoir envisager de poursuivre les études générales. Je peux considérer ce sacrifice comme le moment du choix, même si ça n'est jamais si simple. Je ne me souviens pas de m'être dit un jour : " je veux être pianiste professionnel ". C'est venu naturellement. Je me permets de renvoyer au passionnant livre de Jérôme Bloch, La Cause des Musiciens, auquel j'apporte une toute petite contribution en répondant, comme d'autres de mes confrères, aux questions de l'auteur. La question du choix de la professionnalisation y est posée à un grand nombre de musiciens, et je développe assez longuement ma réponse (je ne suis d'ailleurs pas le seul !)"
Jérôme Ducros rencontre également Léon Fleisher, Gyorgy Sebök, Davitt Moroney..."J'ai été très marqué également par un stage avec Christian Zacharias, à Villarceaux. Nous étions une dizaine d'étudiants et avons passé une semaine avec lui autour de Mozart. L'apprentissage ne se résumait pas aux leçons proprement dites, mais se poursuivait en conversations, matin, midi et soir, avec cet homme qui est un des meilleurs mozartiens que je connaisse. Ceux que vous citez sont venus donner des Master Classes au CNSM, dont les étudiants en Troisième Cycle pouvaient bénéficier. J'avais trouvé formidable l'idée d'inviter un claveciniste (Davitt Moroney), pour donner aux pianistes des cours sur Bach. Il était totalement ouvert à l'idée d'exécuter du Bach sur des pianos modernes, ne cherchait pas à nous faire imiter le jeu des clavecinistes, mais au contraire nous incitait à tirer toutes les ressources de notre instrument pour donner vie à cette musique qu'il adore entre toutes (cf. outre ses enregistrements, le petit livre passionnant qu'il a consacré à Bach)."
En 1994 a lieu à la Scala de Milan le Premier concours International de Piano Umberto Micheli, organisé par Maurizio Pollini qui siège au jury présidé par Luciano Berio. Jérôme Ducros y obtient le Deuxième Prix, ainsi que le Prix spécial pour la meilleure interprétation de la pièce imposée (Incises, de Pierre Boulez, créée lors de l'épreuve finale)...."C'est Gérard Frémy qui m'a poussé à m'inscrire à ce concours. J'étudiais alors en classe de perfectionnement chez lui. Ce concours (dont c'était la première édition) différait sensiblement des autres : le programme était consacré exclusivement à Beethoven et à la musique du XXe siècle ; en outre, l'épreuve finale consistait en un récital, et non pas en l'exécution d'un concerto. Mon professeur aura été bien inspiré : je n'ai pas eu besoin, par la suite, d'en passer d'autre ! Il est évident que tout ce qui a suivi (premiers engagements, premiers articles de presse…) a découlé directement ou indirectement des prix que j'ai obtenus à Milan. J'ai, grâce à cela, fait des rencontres déterminantes (je pense notamment à Anne-Marie Réby et Jean-Pierre Derrien, qui m'ont offert de nombreuses occasions de jouer sur France-Musique). Un concours est souvent indispensable pour sortir de l'anonymat dans lequel on est inévitablement plongé quand on est étudiant. Mais il va de soi que si la condition est nécessaire, elle n'est malheureusement pas suffisante : il faut ensuite, concert après concert, faire ses preuves, ce qui n'est pas facile. On peut être engagé sur des diplômes, mais on n'est réengagé que sur des actes ! Donc, cent fois, sur le métier, on doit remettre son ouvrage…"
Depuis lors, les concerts se succèdent : au Festival de Montpellier, à l'Orangerie de Sceaux, à la Roque d'Anthéron, au Festival de Pâques de Deauville, au Théâtre du Châtelet, au théâtre des Champs-Élysées, Salle Pleyel, à Radio-France où il fait de nombreuses apparitions, au Théâtre du Capitole, au Concertgebouw d'Amsterdam, ainsi qu'à Londres, Genève, Rome, Berlin, New York, Tokyo...A la question de savoir s'il est des lieux qui ont sa préférence, et où il aimerait jouer Jérôme Ducros répond : "Très vaste question, qui implique d'innombrables réponses ! Grandes salles mythiques, petits lieux magiques : c'est en toute sincérité qu'entre le Concertgebouw et l'église de Saint-Léon-sur-Vézère, je ne tranche pas…La chaleur des publics slaves est toujours communicative, notre coupable besoin de reconnaissance nous pousse à aimer y retourner ! J'aimerais par ailleurs aller en Chine, où je ne suis jamais allé." Quant à son meilleur souvenir de concert il reste : "L'Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach, dans les chœurs, quand j'étais enfant. "

Son répertoire, son interprétation...

Jérôme Ducros est attaché à la musique de chambre, il joue aux côtés d'Augustin Dumay, Michel Portal, Michel Dalberto, Nicholas Angelich, Franck Braley, Paul Meyer, Gérard Caussé, Tabea Zimmermann, Jean-Guihen Queyras, Henri Demarquette, Renaud et Gautier Capuçon, le Quintette Moraguès, le Quatuor Parisii, ou Jérôme Pernoo avec qui il forme un duo depuis 1995. En 2007, il joue en duo aux Victoires de la musique avec Maxim Vengerov et il considère que : "Les meilleurs partenaires sont ceux qui aiment profondément la musique de chambre, ma réponse peut paraître triviale. Ceux avec qui le partage va de soi, avec qui les répétitions se passent en musique davantage qu'en mots. Jérôme Pernoo, Renaud et Gautier Capuçon, Gérard Caussé, le Quatuor Ebène, Michel Portal : voilà des partenaires récents avec qui l'entente, aux deux sens du mot, est parfaite."
Jérôme Ducros accompagne aussi des chanteurs lyriques ainsi récemment il était possible de le voir sur internet lors d'un concert au Festival du Verbier avec Philippe Jaroussky avec lequel il a également enregistrer un disque..."Grâce à l'entremise d'André Tubeuf, j'avais eu la chance, en 2000, de rencontrer Dawn Upshaw et de donner des récitals de musique française avec elle. Un disque live en témoigne d'ailleurs. J'ai eu quelques autres expériences d'accompagnement vocal, exercice que j'ai toujours beaucoup apprécié (la plupart de mes œuvres de prédilection sont vocales). Il y a trois ans, Renaud Capuçon, pour l'un des concerts de son festival à Chambéry, a proposé à Philippe de chanter quelques mélodies françaises avec moi. C'est donc lui qui a eu le premier l'idée de ce mariage ! Nous avons accepté tous les deux de bon cœur, moi parce que j'étais ravi d'avoir l'occasion de jouer avec ce chanteur que j'admirais dans le répertoire baroque (et que j'avais hâte de découvrir dans cette musique en apparence si éloignée de celle qu'il avait l'habitude de côtoyer), et lui parce qu'il tutoyait ce répertoire depuis longtemps - je l'ai su après. Il avait travaillé un grand nombre de mélodies françaises au début de ses études de chant, il adorait ça. De plus, son insatiable curiosité se voyait comblée par cette approche d'un nouveau répertoire, il allait pouvoir passer quelques heures dans des bibliothèques, à chercher des perles inédites, parfois inouïes au sens propre du mot. A l'issue de ce concert à Chambéry, nous avons décidé de poursuivre et d'approfondir notre exploration de ce répertoire. Quelques concerts nous ont permis de peaufiner les programmes selon nos affinités, puis Alain Lanceron, grand connaisseur de la mélodie française, a accepté que nous enregistrions ce disque. ". Ce disque a été l'occasion d'une tournée, aux mois de mars et avril derniers, qui les a menés au Châtelet, à la Monnaie de Bruxelles, à Budapest, Londres, Amsterdam… et ils avaient déjà auparavant donné ce programme en Espagne ; puis ils le donneront en Allemagne en décembre 2009, à Lyon puis aux États-Unis en janvier, peut-être en Italie par la suite et il ne faut donc pas s'étonner que parmi ses concerts à venir celui qui lui tienne le plus à coeur est : "Une carte blanche à Philippe Jaroussky, salle Gaveau, le 24 octobre. Un certain nombre de surprises en perspective !"
Toujours lors de son concert avec Philippe Jaroussky diffusé sur internet, Jérôme Ducros jouait quelques œuvres seul, notamment des oeuvres de Cécile Chaminade , compositrice peu connue ..."C'est Philippe qui a tenu à ponctuer les récitals par des courtes pièces pour piano, ce qui m'avait au départ un peu déconcerté (après tout, je sais bien que le public vient en grande partie pour lui !). Finalement, je trouve, en envisageant le déroulement des concerts, qu'il a eu une très bonne idée ! Il restait à trouver quelles pièces pouvaient s'intégrer à ce programme. Comme Philippe faisait figurer au programme deux mélodies de Chaminade (dont une qu'il a dû recopier à la main à la BNF !), je suis allé regarder de plus près l'œuvre pour piano de cette compositrice, et suis tombé sur cette pièce, Automne, qui m'a paru se marier parfaitement avec les mélodies proposées. Cécile Chaminade était une grande pianiste, très réputée, qui a beaucoup écrit pour son propre usage, comme cela se faisait alors. Sa musique vocale est magnifique, et il y a aussi quelques perles dans sa musique pour piano."
Toujours lors de ce concert Jérôme Ducros jouait également une transcription du prélude du " Prélude, Fugue et Variation ", de César Franck qu'il a réalisé à l'instar de quelques autres cependant il indique ne pas vouer pas de culte particulier aux transcriptions et précise : "C'est plutôt au gré de mes envies que je m'y adonne. La transcription était, avant l'apparition de la musique enregistrée (plus que jamais présente et disponible aujourd'hui), une création fonctionnelle. Il s'agissait le plus souvent de pouvoir faire jouer chez soi des symphonies, des opéras, avec les moyens du bord. Aujourd'hui, la transcription ne peut aspirer à la même utilité, les chaînes hi-fi lui ayant avantageusement volé la vedette. Il reste les caprices de l'interprète qui ne veut pas se contenter d'écouter une musique qu'il aime, mais entend, sinon se l'approprier - de quel droit ?!! -, du moins pouvoir la jouer seul et en toutes circonstances, en espérant ne pas trop la trahir… Voilà comment j'ai été amené à réaliser quelques transcriptions."
Jérôme Ducros confie sur son interprétation qu'il s'efforce d'imaginer qu'il s'agit d'une création, que l'œuvre n'a jamais été jouée : "Le fait est que, même quand on propose une œuvre connue en concert, une part importante du public l'entend probablement pour la première fois. C'est ce qui rend sa raison d'être au métier d'interprète, qui a tellement évolué depuis un siècle. Je m'efforce au maximum de ne jamais avoir de références interprétatives (" je ne vais pas jouer comme ça parce que ça a déjà été fait ", la plus irrecevable raison de ne pas jouer comme ça !). Le cumul des enregistrements et le désintérêt relatif du public et des interprètes pour le renouvellement du répertoire (pour des raisons que j'ai abordées (voir question-réponse plus bas) rend cette tâche de plus en plus difficile, mais il faut tenir bon : avoir peur de Beethoven ou de Chopin, oui, mais pas de Richter ou Serkin, quelle que soit l'admiration qu'on leur voue.
Le domaine par excellence où le retour à l'œuvre est une question cruciale est la mise en scène d'opéra. La situation y est à pleurer : il est à peu près impossible d'entendre aujourd'hui un opéra de Wagner ou de Mozart tels qu'ils l'ont imaginé. Non pas parce que les moyens, techniques, artistiques ou financiers, font défaut. Mais parce que les metteurs en scène s'observent entre eux au lieu d'observer l'œuvre. Parce qu'ils se croient créateurs alors qu'ils ne devraient être qu'interprètes. Qu'ils aient le droit de présenter " leur " vision de La Flûte Enchantée n'est pas en soi un problème (ils sont si petits en regard du propos…). Mais qu'il leur soit interdit de ne pas le faire est consternant (*). N'oublions pas l'incroyable prétention que cette attitude implique et présuppose : s'il faut dépoussiérer Mozart, c'est après tout que Mozart est poussiéreux. Et qu'à la faveur de l'intervention d'un metteur en scène moderne (et non poussiéreux, je suppose), il retrouvera tout son éclat. J'attends toujours qu'on m'en convainque. Comme je risque d'attendre longtemps, je me console en constatant que les mises en scène vieillissent toujours plus vite que les opéras auxquels elles sont censées s'attaquer ; que Mozart sera toujours plus vivant que ces " originaux " autoproclamés, qui marchent au pas dans son sillage, persuadés qu'il ne peut pas se passer d'eux. Papageno pourra un jour retirer sa combinaison de cosmonaute, Almaviva ranger son scooter et Donna Anna quitter son bordel. Qui sait ? L'hôpital de Brünnhilde redeviendra même peut-être un rocher ! La Wartburg, un château !! Violetta mourra au troisième acte !!! Rendez-nous la poussière, l'asepsie nous étouffe !!!!
N'en demandons pas trop, et soyons patients : la désertion, dans l'armée de la modernité heureuse, étant passible de la peine de mort sociale, on comprend que les soldats s'y risquent rarement.
Les instrumentistes pourraient de la même façon changer les notes sous prétexte de renouvellement et d'originalité (voilà après tout plus de deux cents ans que les orchestres jouent sol-sol-sol-mi, on pourrait varier !), les traducteurs de livres pourraient moderniser Dostoïevski ou Goethe (depuis combien de temps lit-on la même histoire ?!), les restaurateurs de tableaux pourraient, en ornant ses œuvres d'allusions plus actuelles, dépoussiérer Leonard de Vinci (ne représente-t-il pas, dans notre société, le parangon du déjà vu ?).
Je semble digresser, mais pas tant que ça : il convient de mettre l'œuvre et son créateur au centre de tout, et de ne s'introduire chez eux que par la porte de service. Que l'orgueil en souffre n'y changera rien : le vrai crime de l'interprète, c'est l'usurpation de piédestal
.
(*) Google me propose à l'instant 7.860 occurrences pour " opéra, dépoussiérer ". C'est dire à quel point la notion est originale "
Jérôme Ducros n'enseigne pas pour le moment mais ..."je ne suis pas du tout fermé à cette idée."
Quant à la musique qu''il écoute il confie : "Elle est en grande majorité classique, mais je me tourne aussi volontiers vers la chanson française (Piaf, Trenet, M. Chevalier, Brassens, Brel…)" et en dehors de la musique..." Mes centres d'intérêts sont littéraires pour la plus grande partie, et picturaux dans une moindre mesure. Il est évident que les nourritures artistiques extramusicales se retrouvent dans la façon d'aborder les œuvres, in fine de les jouer, mais la description de cette interaction défie mon entendement. Il n'y a en tout cas pas de relation directe nécessaire (Chopin - Sand - Delacroix, ou Debussy - Monet - Verlaine…). Les correspondances sont confuses, et autorisent, voire exigent, des incohérences historiques ou géographiques parfois déconcertantes ! Mes loisirs autres se limitent à quelques randonnées en montagne, la meilleure évasion, et à un intérêt assez soutenu pour l'aviation…
Lors de l'interview Jérôme Ducros a souhaité s'exprimer longuement sur un sujet qui lui tient à coeur ... voir ci-dessous la question et sa réponse qui ont été mises à cet emplacement pour des raisons pratiques.
En 1994 vous avez obtenu le Prix spécial pour la meilleure interprétation de la pièce imposée (Incises, de Pierre Boulez, créée lors de l'épreuve finale)lors de la finale du concours International de Piano Umberto Micheli,. Qu'avez-vous pensé de cette pièce en la découvrant ? Et qu'en pensez vous aujourd'hui, et jouez-vous souvent des œuvres de Pierre Boulez ?

À cette époque, embarrassé par mon incapacité à aimer réellement la musique contemporaine, je battais ma coulpe. Je me sentais étranger à ce monde et à sa phraséologie (une pièce était toujours « intéressante », ce qui me semblait le comble de l’appréciation désincarnée. Aurait-on eu l’idée de juger Bach, Mozart ou Beethoven « intéressants » ? Dit-on de la personne qu’on aime qu’elle est « intéressante » ?). L’enseignement académique nous inculquait jour après jour qu’un rejet de Stockhausen en 1990 équivalait à un rejet de Beethoven en 1820. Je n’avais à l’époque ni les moyens intellectuels ni les connaissances pour réaliser qu’une telle affirmation était un parfait contresens. Ce n’était pas un compositeur, seul contre tous, que je n’appréciais pas, mais bien au contraire une mode, suivie par tous les compositeurs reconnus, souvent triplement reconnus – par le Ministère, par la critique et par l’Académie. Ainsi, longtemps, j’ai exclu la possibilité de m’opposer à une doxa si solide ; j’ai considéré que mon désamour pour cette musique était le fait de mon incompétence, d’une propension suspecte à la nostalgie, d’un passéisme coupable et incurable avec lequel il me faudrait vivre. Je n’étais pas en mesure de recenser les incroyables paradoxes dont la vision officielle de l’histoire de la musique était porteuse : les thuriféraires de la modernité admiraient dans l’histoire de l’art ceux qui s’étaient opposés, mais refusaient qu’on s’oppose à eux ; les apologistes de l’évolution, du changement, de l’avancée artistique souhaitaient que la musique soit désormais contemporaine – dans l’acception stylistique du mot – pour les siècles des siècles, autant dire : que désormais plus rien ne bouge ; des professeurs de Conservatoire, des artistes décorés par l’État, des conseillers du ministère fustigeaient l’académisme sans se figurer un seul instant qu’ils en étaient l’incarnation historique ; la figure de l’iconoclaste avait désormais valeur d’icône sans que cette singularité ne semble troubler ceux qui en étaient au cœur. Au prix de pirouettes confondantes, de contorsions douloureuses, l’histoire de la musique était allègrement revisitée de telle sorte que la biographie des génies du passé puisse coller aux prescriptions intellectuelles et artistiques du présent. Le temps s’était figé. Il faudrait désormais éternellement s’opposer à la mélodie, à l’harmonie, à la pulsation régulière. Tout se passait comme si les cadavres de Wagner ou de Brahms étaient encore chauds ; comme si l’atonalisme et la mesure irrégulière avaient pris pour toujours le visage du nouveau. L’opposition entre toutes interdite, taboue, qui valait l’ire de la classe musicale dominante à l’encontre des malheureux qui s’y essayaient, c’était l’opposition à la musique contemporaine, c’est à dire au passé récent. Car il était impensable, alors, que la musique contemporaine puisse un jour appartenir au passé. Et pour cause : cela aurait impliqué, selon les lois immémoriales de l’évolution et de la modernité, que la nouvelle musique ne soit pas contemporaine. Or c’était impossible. La musique contemporaine était l’aboutissement, ce vers quoi tout avait tendu : l’horizon indépassable de notre temps. Elle était tout à la fois présent et avenir, elle ne serait jamais passé. On en arrivait ainsi au suicide de la pensée moderniste, dont les théoriciens n’avaient pas prévu, à ma connaissance, qu’elle portait en elle les termes de son propre reniement : si, être moderne, c’est refuser la norme, que dois-je faire quand le moderne est devenu la norme ?

On peut aisément, à la lueur de cette incohérence, cerner le vice de forme qui a fini par avoir raison de la pensée moderniste : c’est d’avoir considéré comme un tout les deux grands paramètres qui la caractérisent : l’attitude et l’esthétique, désormais inconciliables. Aux grandes heures de la modernité (Stravinsky, Picasso…), les deux allaient de pair dans des œuvres souvent saisissantes. Désormais, soit je choisis l’esthétique moderne (et mon attitude sera alors typiquement anti-moderne, puisque j’accepterai le cadre que mes professeurs ou mes prédécesseurs m’auront imposé), soit je choisis l’attitude moderne (qui entraînera de ma part un rejet de l’esthétique imposée, donc de la modernité, dont il sortira une œuvre littéralement anti-moderne). Si l’on admet que la vraie modernité se doit de conjuguer une attitude et une esthétique qui lui soient entièrement soumis, on est forcé de conclure qu’il est impossible aujourd’hui d’être moderne.

Contemporain, me direz-vous ? L’ambiguïté de ce qualificatif apporte une contribution non négligeable à la vision téléologique de l’histoire de la musique dont je parle plus haut : on peut en effet ne pas être baroque, ne pas être classique, ne pas être romantique ; on ne peut pas ne pas être contemporain. L’emploi d’un terme aussi dénué de sens (terme non marqué, diraient les linguistes) pour qualifier un courant artistique est révélateur au mieux d’un évident malaise, au pire d’un artifice de haute tenue. En bon français, toute création, à n’importe quelle époque, est contemporaine. Toute personne est contemporaine. Mon boulanger, mon facteur, sont contemporains. Je pense, donc je suis contemporain. Un tour d’horizon des antonymes est à cet égard éclairant : classique donne romantique, baroque ; romantique : classique, réaliste ; baroque : classique. Contemporain ? Ce terme n’admet en matière d’antonymes que des références au passé. Ce qui n’est pas contemporain, c’est normalement ce qui est mort. À l’extrême rigueur, on peut considérer que c’est également ce qui n’est pas encore né, mais cela revient au même : la naissance entraînera de facto la contemporanéité. Nous voici donc face à un monde habilement scindé en deux : ce qui est contemporain, et ce qui n’existe pas.

Dès lors, il est logique que ceux qui ont essayé, depuis quelques années, de s’affranchir du style contemporain, que ceux qui ont tenté de pourfendre la pensée contemporaine aient été qualifiés de passéistes, voire de réactionnaires ou de révisionnistes.

Car, et nous y voilà, le naturel de l’artiste (ne pas se contenter de ce qu’on lui a appris, vouloir autre chose, avoir en somme une attitude moderne), chassé pendant de nombreuses années, est revenu au galop. C’est ainsi que l’on voit depuis quelque temps le débat artistique ravivé par des querelles esthétiques : un jour Benoît Duteurtre, qui fustige le pouvoir musical en place, et dénonce sa double mainmise politique et esthétique, reçoit de tous côtés une pluie d’injures dont la violence dépasse de très loin le cadre attendu d’un tel débat ; un autre jour on lit dans un quotidien la pétition scandalisée d’un aréopage habitué du festival Présences, s’étranglant de ne plus y entendre, depuis quelques éditions, la musique à laquelle il est habitué ; on commence à percevoir au même moment (à Présences, toujours) les sifflets d’un auditoire dérouté, suivis le lendemain d’une critique acerbe dans un journal de référence. On renoue, enfin, après un coma qui n’aura que trop duré, avec la tradition de confrontation, de remise en cause, qui est le pilier de toute évolution artistique. De l’eau a coulé sous les ponts, depuis mon adolescence, quand les concerts de musique contemporaine déclenchaient, dans un systématisme monotone et gris, des applaudissements polis et des critiques bienveillantes.

Qu’en adviendra-t-il ? Il est certainement trop tôt pour le dire, mais les grandes lignes commencent à poindre. L’esthétique et l’attitude modernes sont parvenues au faîte de leur antagonisme. Si d’aventure, dans le combat qu’elles ne peuvent désormais éviter de se livrer, la seconde venait à triompher de la première, on entendrait bientôt murmurer qu’écrire contemporain en 2009 n’a pas davantage de sens qu’écrire romantique en 1909 ou classique en 1809.
Il ne s’agira pas alors de nier la valeur de la musique contemporaine ni de tenter d’amoindrir son rôle, mais bien au contraire, en s’y opposant, de reconnaître enfin qu’elle a fait son temps, donc qu’elle a existé.

Écouter...

La sélection de pianobleu.com...

Ducros-Aparte

Jérôme Ducros

Quintette pour piano et cordes
Trio pour violon, violoncelle et piano

Sergey Malov, violon1
Mi-Sa Yang, violon 2
Gérard Caussé, alto
Jérôme Pernoo, violoncelle
Jérôme Ducros, piano et compositions

Peut-être avez-vous connaissance du débat qui met actuellement, et en fait depuis plusieurs décennies, en opposition, parfois violente, les compositeurs actuels. En très bref ceux qui considèrent que ne peut-être nouveau et "contemporain" que la musique atonale, et les adeptes du langage musical traditionnel tonal ... Le pianiste Jérôme Ducros, pour qui le parcours de compositeur est lié depuis toujours à celui d'être pianiste, et qui a récemment tenu une conférence au Collège de France sur la musique à l'origine de nouvelles controverses, est un des défenseurs de la musique tonale, son langage naturel. Il n'est pas question ici de se positionner ou de relancer le débat, qui vu de l'extérieur semble de toutes façons sans fin envisageable, mais juste de présenter son nouveau disque, à l'occasion duquel il a bien voulu répondre à de nouvelles questions...cliquez ici pour lire la suite et voir deux vidéos

Ludwig van Beethoven(1770-1827)

Sonate en la majeur op.47 "Kreutzer" (1803)
(transcription pour violoncelle et piano par Carl Czerny)

12 variations en fa majeur op.66(1798)
sur la Flûte enchantée de Mozart

Sonate n°3 en la majeur op.69(1808)

Jérôme Ducros, piano
Jérôme Pernoo, violoncelle

Le pianiste Jérôme Ducros aime avant tout jouer de la musique de chambre, et plus particulièrement avec ceux qui partagent cet amour et "ceux avec qui le partage va de soi, avec qui les répétitions se passent en musique davantage qu'en mots" . De deux ans son aîné, Jérôme Pernoo, lauréat du concours Tchaikovsky à Moscou et du concours Rostropovitch à Paris en 1994 et du Concours de Pretoria en 1996, est pour lui un partenaire idéal depuis plus d'une quinzaine d'année. Si la Sonate à Kreutzer a inspiré à l'écrivain Leon Tolstoï un drame conjugal, c'est ici en parfaite entente musicale que les deux musiciens interprètent cette sonate que son dédicataire, le violoniste Rodolphe Kreutzer , n'a jamais joué en public, la déclarant "inintelligible" mais il est vrai qu'il s'agit ici d'une transcription pour violoncelle réalisée par Carl Czerny et ce n'est nullement le cas, le discours est ici limpide, fougueux dans les premier et troisième mouvements , plus poétique dans le deuxième mouvement qui est en fait un thème suivi de variations.
A la suite de cette sonate viennent Douze Variations sur le fameux air de Papageno de la Flûte enchantée, où l'on est loin d'un drame conjugal puisque Papageno rêve d'une femme qui l'aimerait. Enfin la troisième sonate pour violoncelle et piano qui s'ouvre sur un mouvement allegro est d'un lyrisme tendre. Jérôme Ducros a bien voulu nous en dire plus sur cet enregistrement...cliquez ici pour lire la suite et en écouter un extrait
 

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