Olivier Greif Pascal Amoyel Emmanuelle Bertrand

Pascal Amoyel
joue
Greif
Sonate pour piano n°22 "Les plaisirs de Chérence"
Sonate de guerre n°15
et
Emmanuelle Bertrand
joue
Amoyel
Sadhana In memoriam Olivier Greif

CD (+ DVD bonus de 45 minutes)

Si à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Chopin l'intégrale des Nocturnes de Frédéric Chopin enregistrée par Pascal Amoyel vient d'être récompensée par la Warszawa Fryderyk Chopin Society, dans le cadre du Grand Prix du Disque 2010, ce même pianiste vient de sortir un disque, chez le label Triton, d'un compositeur beaucoup moins connu, et pourtant plus proche de nous, pour lequel l'année 2010 est aussi l'occasion d'un hommage puisqu'il est décédé depuis 10 ans, à l'âge de 50 ans : Olivier Greif.
Ce compositeur avait d'ailleurs choisi Pascal Amoyel lui-même pour interpréter sa "Sonate de guerre", le jugeant comme "homme de la situation". C'est ici un enregistrement de cette oeuvre réalisé sous la direction artistique d'Olivier Greif, sorti en 1999, que l'on peut retrouver. Plus proche de nous est en effet cette étonnante "Sonate de guerre" d'où émane la violence de la seconde guerre mondiale... en fait une sonate plaidoyer pour la paix dans laquelle Olivier Greif confie qu'il a voulu dénoncer la barbarie des hommes et rendre hommage à ses victimes...
Pascal Amoyel a quant à lui choisi de rendre hommage à Olivier Greif au travers d'une oeuvre pour violoncelle et voix. L'on avait pu découvrir en 2006 des oeuvres pour piano et violoncelle d'Olivier Greif sous les doigts de Pascal Amoyel et Emmanuelle Bertrand, qui partage avec lui sa passion pour la musique de Greif, ici la violoncelliste doit aussi jouer des cordes vocales en symbiose parfaite avec les cordes de son instrument. "Cette pièce est construite sur le silence, donnant vie à la manifestation, puis retournant au silence d'où elle avait émergé"...une pièce d'essence spirituelle à l'instar de la musique d'Olivier Greif. Si cette pièce dure plus de dix minutes, elle nous ramène aussi à la traditionnelle minute de silence rendue en hommage aux morts mais avec une ampleur décuplée tant par la durée que par sa profonde résonance sonore propre au recueillement, et semblable à une prière... Un émouvant hommage.
Egalement pianiste, Olivier Greif avait créé en 1997 la sonate "Les plaisirs de Chérence" en l'église Saint Jean de Braye. Le jour où Pascal Amoyel rencontra Olivier Greif pour la première fois ce dernier lui joua cette sonate et Pascal Amoyel avait aussi envie de la jouer, fasciné par le côté habité de cette oeuvre explique-t-il dans une interview de l'intéressant DVD offert en bonus où l'on peut aussi retrouver le compositeur dans une autre interview et l'enregistrement des mouvements finaux des deux sonates. Cet enregistrement de la sonate n°22, réalisé en 2009, est un bel aboutissement puisqu'il est le premier enregistrement discographique de cette oeuvre. Son contenu s'avère en fait très différent de ce que laisse annoncer le titre, le compositeur s'en étonnait lui-même :"Dieu seul sait comment ce morceau a pu devenir entre temps une suite de cinq pièces obsessionnelle , frappées du sceau de la mort ! Mort des bêtes , mort des hommes , mort partout. Il n'est pas jusqu'au mouvement ultime, que j'avais entendu au départ comme un carillon joyeux et rassembleur, qui me semble désormais sonner tel un glas..." une musique d'une grande intensité, comme toujours avec Olivier Greif, et qui exige encore de l'interprète une appropriation totale, et l'on peut faire confiance à Pascal Amoyel qui certes démontre ici son attachement au compositeur mais contribue à donner au compositeur la notoriété qu'il mériterait en nous permettant de découvrir cette musique qui exprime des sentiments très forts, loin de toute tiédeur ou modération.... Une musique certes pas poétique comme celle de Chopin mais dont le caractère obsessionnel nous touche aussi profondément grâce à l'interprétation captivante que nous en offre Pascal Amoyel qui s'avère tout autant excellent dans ce registre faisant sienne cette oeuvre.
Pascal Amoyel a bien voulu répondre à quelques questions :
Vous avez eu la chance de rencontrer et échanger souvent avec Olivier Greif , quels sont les souvenirs les plus marquants et les conseils les plus importants que vous gardez de lui ?
Je me souviens d'un homme habité, inconditionnellement musicien et visionnaire. Il était à la fois d'un naturel grave et léger, et une discussion avec lui pouvait aussi bien porter sur le dernier film vu que les paroles d'un grand Sage.
Sa musique est à l'image de l'homme : solitaire, authentique, dépassant les carcans et les limites édictées, ayant pris assez de recul pour n'avoir à renoncer à aucun interdit du moment.
Je me souviens aussi de la confiance enthousiaste et bienveillante qu'il me témoigna lorsque je lui jouais sa musique, ou encore quand je lui faisais entendre la mienne. Cela me guide aujourd'hui.
Connaissez-vous toutes ses œuvres (plus d’une centaine) dont la quasi totalité pour piano et toutes celles-ci sont-elles toujours porteuses d’un message car lorsqu’on écoute ou lit les commentaires de Greif sur sa musique l’on s’aperçoit qu’il a toujours une explication sur celle-ci d’un autre ordre que purement musical et c’est d’ailleurs sans doute ce qui contribue à ce qu’elle touche le public ?
Malheureusement peu d'oeuvres d'Olivier sont éditées, et il est souvent difficile de plonger dans les méandres des manuscrits d'un compositeur. Pour ma part, je me réserve le plaisir de découvrir ses oeuvres au gré du temps, contrairement à cette mode dévastatrice qui veut que l'on se doit de tout connaître tout de suite. Quant au "message" de ses oeuvres, au fond, la musique n'étant que la manifestation d'un mystère plus profond dont elle naît, on a le sentiment qu'elle importait moins pour lui que la volonté de transformer l'auditeur par cette dimension spirituelle. Ceci se ressent à chaque fois que l'on écoute son oeuvre.
Dans le DVD qui accompagne le disque l’on peut vous voir interpréter un extrait de la sonate de guerre en 1995 salle Cortot et également aux côtés d'Olivier Greif présentant son œuvre qui dit qu’il a décelé en vous « l’homme de la situation » pour interpréter cette sonate. Maintenant qu’il est mort vous sentez-vous d’autant plus la responsabilité de transmettre cette musique qui est un plaidoyer pour la paix ?
Toute oeuvre de génie provient d'un contexte tout en s'en échappant sans but préalable. Le plus bel exemple est peut-être justement cette Sonate de Guerre qui est clairement inspirée par la Shoah selon les mots même du compositeur, alors que celui-ci refusa pendant des années de le reconnaître. Rarement l'inspiration d'un compositeur aura poussé aussi loin les limites suggestives de l'obsession et de la folie. Ici pas de souffrance, encore trop humaine, mais un degré ultime de fureur et de désolation qu'aucun mot ne saurait décrire, qui tente de suggérer l'innommable.
La sonate n°22 que vous interprétez également a été composée 22 ans plus tard par Olivier Greif et est aussi inspirée par la guerre mondiale et la shoah trouvez-vous une évolution importante dans sa musique ?
Oui. La Sonate "les Plaisirs de Chérence" est probablement plus aboutie que la sonate de guerre qui, à l'instar d'un Prokofiev, reprenait des esquisses de jeunesse.
On devrait d'ailleurs plutôt intituler cette 22e sonate "Suite" avec ses 5 mouvements, rappelant en son titre les oeuvres galantes des clavecinistes français des 17 et 18e siècles comme les Plaisirs de St Germain en Laye de Couperin. Sauf qu'avec Greif, ce n'est qu'une promesse... la musique sombrant très vite dans les affres les plus terrifiantes de l'âme humaine.
Quelles difficultés particulières posent l’interprétation des œuvres de Greif , à quoi avez-vous particulièrement attaché d’importance dans votre interprétation de ses œuvres ?
Tout d'abord ces pièces sont redoutables pour nos seuls 10 petits doigts, qui doivent surmonter un ouragan de notes et un cataclysme d'émotions !
Enfin, je suis persuadé qu'il faut aimer profondément cette musique pour la jouer, et même la faire sienne. J'avais l'habitude de dire à Olivier que quand je jouais sa musique, c'était moi qui l'avais composée. Je crois que cela le réjouissait beaucoup !

Vous avez composé une œuvre en hommage à Olivier Greif pour violoncelle et voix qui a été créée par Emmanuelle Bertrand le 10 mai 2010, pourquoi avoir choisi cet instrument et la voix plutôt que le piano pour cet hommage, comment s’est passé cette création et avez vous le sentiment que comme le disait Olivier Greif l’on apprécie plus en notre siècle sa musique ?
Ce fut une grande émotion pour moi de composer une oeuvre à sa mémoire. Cette pièce se fait l'écho de nos années d'échanges en matière d'art et de spiritualité.
Si le violoncelle s'est imposé comme une évidence, l'idée d'y associer -plutôt d'y intégrer- le "souffle-son" de la voix humaine a été inspiré par l'écoute du chant diphonique originaire de Haute Asie (l'organe vocal parvenant à combiner deux voix en même temps). J'ai souhaité que la musicienne trouve en son intimité le son "premier" de sa voix en une sorte de voyelle sans forme lorsque les lèvres sont totalement détendues. Le fait que la voix ne soit pas "travaillée" et que ce soit la même personne qui chante et qui joue est ici essentiel. Mon idéal serait que l'auditeur se retrouve dans un espace complètement inconnu, libre de toute mémoire, sans repère et donc ouvert, où les sons provenant de l'instrument violoncelle et ceux du corps ne pourraient être identifiés.
Y-a-t-il des conseils importants sur la composition qu’Olivier Greif vous a transmis et que vous ayez envie de partager ?
Ce que j'ai toujours retenu de mes maîtres étaient moins des mots que leurs regards habités lorsqu'ils étaient en totale communion avec la musique. C'est cette émotion qui vous transperce, vous révèle ce que vous êtes ou savez déjà, pour ne jamais plus vous quitter.
Cet été vous allez participer à nombreux festivals, mais Greif ne semble pas beaucoup programmé jouerez-vous cependant des œuvres de Greif en bis car si c’est l’année Chopin et Schumann cette année n’est-ce pas aussi l’année Greif cette année ?
Oui bien sûr! Comme il est encore parfois difficile de convaincre des organisateurs de programmer des oeuvres de notre temps, j'essaye souvent d'insérer la musique de Greif aux côtés d'oeuvres du répertoire. Par exemple, cet été au festival de la Chaise Dieu, j'interpréterai un mouvement des "Plaisirs de Chérence" dans un concert théâtral "Le Pianiste aux 50 doigts" (d'après la vie de Cziffra) que je crée les 20 et 21 août. Ou encore le 18 novembre prochain, dans mon propre festival "Notes d'Automne" au Perreux sur Marne, nous interpréterons avec Emmanuelle Bertrand de larges extraits de sa magnifique Sonate de Requiem dans notre spectacle "Block 15, ou la musique en résistance" (mis en scène par Jean Piat).

Pour en savoir plus sur Pascal Amoyel...cliquez ici

A voir : extraits de Sadhana - Amoyel
par Emmanuelle Bertrand et
Les plaisirs de Chérence - Greif
par Pascal Amoyel

 

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