Cinq Fantaisies Georges Beriachvili PIANO

Cinq Fantaisies

Mozart (1756-1791)
Fantaisie en ré mineur K397
Beethoven (1770-1827)
Fantaisie en sol mineur/ si majeur op.77
Schumann (1810-1856)
Fantaisie en do majeur
Chopin (1810-1849)
Fantaisie en fa mineur op.49
Scriabine (1872-1915)
Fantaisie en si mineur op.28

Georges Bériachvili, piano

Le pianiste Georges Bériachvili a toujours eu à coeur de construire le programme de ses concerts et de ses disques comme des parcours cohérents, ainsi nous avions pu le découvrir en 2011 à l'occasion de la parution de son disque : "Récital allemand" , et son nouveau disque, qui parait sous le label Polymnie. présente une version enregistrée en studio d'un récital de cinq Fantaisies pour piano qu'il a donné à plusieurs reprises en 2012. Interrogé à l'occasion de cette nouvelle parution il confie qu'il a choisi de l'enregistrer en studio car c'est un programme qui a une importance et un sens particuliers pour lui : "je tenais naturellement que l’enregistrement soit fait avec le plus grand soin, aussi bien du côté de l’interprétation que du côté de la prise de son. " .
Outre la qualité sonore et celle de son interprétation, le livret qu'il a rédigé lui-même est aussi très bien réalisé et l'on y mesure immédiatement la passion qui anime l'interprète, ainsi explique-t-il au sujet de ces oeuvres : " En s'éloignant des genres musiciaux fonctionnels de leur époque, elles tendent toutes vers le noyau de l'âme humaine. A travers les créations du génie musical européen, je voulais que ce récital raconte l'aspiration indéracinable de l'homme vers l'infini, vers le dépassement de sa condition terrestre, vers l'élévation de l'esprit".
Plus que le mot "concert", le terme de "récital" semble de fait mieux adapté pour qualifier son programme ainsi la Fantaisie de Mozart qu'il a choisie est une parfaite introduction dont le pianiste sublime le côté théâtral . Oui chaque pièce , en dehors du fait qu'elle suit un ordre chronologique, semble parfaitement à sa place.
Ainsi la Fantaisie de Beethoven semble tout autant faire vivre un personnage solitaire et interrogateur en son début que celui que l'on entendait précédemment et la transition entre les deux oeuvres est quasi imperceptible. Mais c'est là peut-être pure imagination de l'esprit, à chacun de suivre cette suite logique de Fantaisies pour piano avec la même liberté d'esprit que leurs compositeurs avaient en improvisant/composant ces Fantaisies, puisque les traits essentiels de la Fantaisie pour instrument seul sont précisément :" la liberté du cheminement de la pensée, recherche créatrice, moments quasi improvisés, immédiateté de l'expression.". Cependant ici la liberté est guidée par l'interprète, son choix d'oeuvres et son interprétation bien sûr.
Et, au coeur de ce programme la longue Fantaisie de Schumann au-delà du "long cri d'amour" qu'y exprime Robert Schumann à Clara, pourra, telle que Georges Bériachvili le mentionne dans son livret en citant le quatrain de Fr. Schegel inscrit en épigraphe de l'oeuvre, laisser imaginer aussi le compositeur y faire parler justement les racines de la vie : " A travers les sons innombrables ; Qui peuplent le songe diapré de l'univers ; Un chant imperceptible appelle ; Celui qui écoute en secret".
Si la Fantaisie de Chopin, ainsi le mentionne le pianiste, ne raconte pas un récit sans paroles contrairement à ses "Ballades" et brosse plutôt un portrait de la vie intérieure d'un héros romantique, ce programme entier s'avère bien un récit qui se poursuit ainsi la Fantaisie de Scriabine peut-elle être un prolongement naturel aux deux accords conclusifs de l'opus 49 qui sonnent comme un "Amen" et cette oeuvre absolument enthousiasmante est un splendide final. Vous pourrez découvrir un long extrait, plus bas dans cette page, de cette oeuvre d'une grande difficulté technique. Georges Bériachvili montre en effet tout au long de ce récital outre une grande inspiration artistique, une virtuosité pianistique qui lui permet d'offrir ici un programme original de grande qualité.
Hormis la sortie de ce disque, quels ont été les moments les plus forts pour vous, depuis notre précédent entretien en mars 2011 ?
Je pense premièrement au Prix de musique Simone et Cino del Duca de l’Institut de France (Académie des Beaux-arts), que j’ai reçu en 2012. C’était une récompense précieuse pour moi. Ensuite, il y a eu une belle cérémonie et un concert des lauréats, avec Diego Tosi (violon), Agnès Clément (harpe) et moi-même. Un autre moment vraiment fort était mon travail avec le compositeur François-Bernard Mâche dont j’ai interprété le Nocturne pour piano et sons enregistrés dans plusieurs concerts. Mes échanges avec cette personnalité hors du commun ont été très enrichissants. Au festival de musique contemporaine de Tbilissi où il a été invité, j’ai également joué la partie de l’échantillonneur dans son cycle vocal Kengir, et puis, j’ai écrit deux articles sur sa musique (pour les colloques à la Cité de la Musique et à l’Université Paris 8).
Pour vous répondre j’aimerais aussi évoquer mon travail quotidien sur la musique. Souvent c’est bien là que se trouvent des moments véritablement forts. Ils restent invisibles et pourtant, avec les prestations publiques, ils forment le tissu même de ma vie. Tel a été par exemple mon travail sur les 32 variations de Beethoven, sur le programme des Fantaisies ou encore sur certaines pièces de Scriabine et de Schumann.
Ce disque correspond à une version enregistrée en studio d’un récital que vous avez donné à plusieurs reprises, pourquoi avez-vous fait ce choix plutôt qu’un disque « live » ?
Le disque se fait, hélas, de plus en plus rare. Vu que ce n’est pas juste un simple récital, mais un programme qui a une importance et un sens particuliers pour moi, je tenais naturellement que l’enregistrement soit fait avec le plus grand soin, aussi bien du côté de l’interprétation que du côté de la prise de son. Il est vrai que le « live » a ses avantages (une certaine spontanéité, etc.). Mais il n’est jamais sûr que cela donne une version totalement satisfaisante et conforme à la vision intérieure que j’ai. Il peut y avoir des hauts et des bas, sans parler d’éventuels surprises du live, comme des « pains », ou des toux du public. A propos, je profite de cette occasion pour parler du superbe travail qu’a fait Guillaume Defer, preneur du son et directeur artistique. Je le remercie de tout mon cœur.
Vous avez réalisé une thèse doctorale sur la musique du 20ème siècle, pourquoi ne pas enregistrer des œuvres du 20ème siècle, que préférez-vous dans ce répertoire de fantaisies / cette musique du 20ème siècle ?
Il y a plusieurs problèmes liés à cela. D’abord c’est la différence des circuits de la musique « classique » et de la musique « contemporaine ». C’est malheureux, mais il est par exemple difficile de faire des programmes « mixtes » en raison des souhaits des organisateurs de concerts et des préférences des publics concernés. Il est également difficile de composer des programmes qui auraient une véritable cohérence. Je le fais quand je le peux, mais c’est rare. J’ai par exemple un récital qui s’appelle « Musiques de nuit » où après Field, Chopin, Schumann, Tchaïkovski, je joue le Poème-nocturne de Scriabine (atonal) suivi des œuvres de F.-B. Mâche et de P. Eötvös (Nocturne et Kosmos). Mais je n’ai eu que deux occasions de le jouer.
En ce qui concerne l’enregistrement, je ne pense pas qu’aujourd’hui il soit intéressant d’enregistrer pour enregistrer, si l’on peut dire. Quasiment tout est déjà enregistré. Y compris le XXe siècle, en tout cas tout ce qui est à la hauteur des grands aboutissement de la musique des siècles précédents. Et les chiffres de ventes sont au plus bas. Le temps des intégrales et de la redécouverte d’illustres inconnus est révolu. Il faut donc un projet particulier qui serait intéressant du point de vue du programme, monté par exemple avec un compositeur en activité. Je suis bien volontaire, mais c’est très difficile lorsque les compositeurs d’aujourd’hui sont encore moins « rentables » que ceux d’autres époques.
Ce qui m’intéresse vraiment dans la situation actuelle, ce sont les programmes qui représentent plus qu’une exécution des œuvres. L’interprète, lorsqu’il joue de la musique du passé, doit aujourd’hui être en quelque sorte auteur de son concert. Evidemment, non pas au sens d’utiliser la musique pour montrer ses capacités et faire un « show », mais au sens de faire renaître la musique qu’il joue, de s’en pénétrer à tel point qu’elle jaillisse comme une création propre de l’interprète. Le « respect » du texte fera alors naturellement partie de la démarche artistique. Car juste avec la « fidélité » (aux textes, aux usages, aux instruments de l’époque etc.) la musique ne sera pas plus vivante qu’un vase antique ou autres objets des cultures disparues.
Je parle bien sûr d’un idéal très difficile à atteindre, mais il faut constamment s’en inspirer et s’en approcher. Peut-être c’est un idéal d’ailleurs bon pour toute époque, mais je pense qu’actuellement il est particulièrement indispensable.
Ce que vous écrivez au sujet de la Fantaisie de Beethoven : ce "mixage d’une première partie improvisationnelle, la montée de la tension, atteignant son apogée... puis des variations de ce thème... "ne pourrait-il pas aussi se dire de certains compositeurs de jazz (et aussi de « musique savante ») du 20ème et 21ème siècles ?
Je ne pense pas qu’il existe un lien particulier entre la Fantaisie de Beethoven et le Jazz ou la musique savante des cent dernières années. Les procédés que vous évoquez (improvisation, culmination, variation) sont tellement généraux qu’on peut les trouver un peu partout et pas que dans la musique. Le raga indien de ce point de vue serait encore plus proche de Beethoven que le Jazz. Mais cela ne nous avancera pas beaucoup pour aimer et comprendre Beethoven. Ce qui est important chez lui, c’est l’interrogation passionnée, la lutte et le devenir intérieurs (qui, remarquez, sont assez étrangers au Jazz, tout comme aux musiques d’avant-garde du XXe siècle).
Vous indiquez que la Fantaisie K.397 de Mozart hérite du modèle des Fantaisies de Carl Philip Emmanuel Bach et qu’en même temps elle préfigure la musique du siècle romantique, ne trouvez-vous pas que ce fils de Bach avait aussi déjà une sensibilité pré-romantique, et que trouvez-vous de plus chez Mozart sur le plan des émotions ?
En effet, C.P.E. Bach a déjà une certaine sensibilité pré-romantique. Mais c’est chez Mozart que la place de l’homme dans le monde, sa conscience d’individu, s’approchent vraiment du romantisme. Tout est dans le rapport entre l’individuel et le général. Dans la musique de Mozart ils sont en équilibre, mais à travers le général surgit avec force la personnalité humaine avec ses sentiments, pensées et passions. Beaucoup plus que chez les compositeurs qui l’ont précédé. Il y a aussi chez Mozart une rébellion le plus souvent secrète, à laquelle je pense en jouant certains moments de la Fantaisie. D’ailleurs, dans ce morceau ce n’est peut-être pas si évident que ça. On aurait pu l’interpréter autrement. Mais moi, je préfère cette vision.
La Fantaisie de Schumann semble quant à elle plus préméditée, et proche d’une sonate...
Oui, en effet elle est proche d’une sonate, mais alors vraiment une sonate « Quasi una fantasia ». Sur cette œuvre il y a une énorme masse d’écrits, de recherches, il y a même un livre entier (de Nicholas Marston)... Vous comprenez, il est difficile d’embrasser le sujet en une courte réponse. Pour faire très brièvement, je dirais que Schumann a toute sa vie eu du mal avec les grandes formes. Pas avec les grandes formes qui enchaînent des miniatures, mais précisément avec la sonate. Ce n’est pas dû à sa faiblesse, mais aux particularités de son style qui se mariait difficilement avec la forme sonate sans perdre sa nature la plus intime. Eh bien sa Fantaisie est une rare œuvre où ce mariage a été plutôt heureux. Il y a un certain côté chaotique dans la composition, mais il est dans un rapport très organique avec le contenu même de la musique.
De même la Fantaisie de Chopin est quant à elle assez similaire à ses Ballades, et vous indiquez que contrairement à elles elle ne raconte pas un récit sans paroles mais brosse plutôt un portrait de la vie intérieure d’un héros romantique, la nuance ne semble pas vraiment très importante, mais pensez-vous que de ce fait elle soit moins « préméditée » que les Ballades ?
En opposant le « récit » et le « portrait » je souhaite pointer la différence entre le déroulement plus narratif des Ballades et la particularité de la Fantaisie où le compositeur agence des images plus abruptement, comme s’il s’agissait d’un portrait « simultané » dont il montre les facettes sans ménager de transitions entre les plans (dans la partie principale, pas dans le prologue). Puis, entre l’exposition et la réexposition il n’y a pas vraiment d’évolution. Après la partie centrale lente, il redit juste la même chose avec plus de pathos. Et à la différence des Ballades il n’y a qu’une très brève conclusion : un court récitatif, un passage « dentelé » et deux accords finaux (« Amen » ).
Vous indiquez que la Fantaisie de Scriabine représente sans doute un des plus beaux aboutissements de son activité créatrice, est-ce à dire qu’elle n’a aucune part d’improvisation ?
Dans la Fantaisie de Scriabine le côté improvisationnel ne se voit pas sur le plan formel. Le morceau est soigneusement construit, mais cela ne signifie pas pour autant que le matériau en soit moins spontané et frais. Le compositeur pouvait très bien trouver ses thèmes en improvisant, que ce soit au piano ou « dans sa tête ». L’histoire de la musique a retenu les noms des musiciens qui étaient capables d’improviser des fugues - la plus intellectuelle des formes (Bach en le plus illustre exemple). Beethoven, il improvisait fréquemment en forme sonate. Qu’un morceau soit très « construit » ne veut pas forcément dire le compositeur a « ramé » ou travaillé comme un comptable, mais qu’il a plutôt fait un travail d’architecte. La Fantaisie de Scriabine en est, je crois un excellent exemple.
Vous vouliez que votre récital raconte l’aspiration indéracinable de l’homme vers l’infini, certaines œuvres du 20ème siècle pourraient-elles à votre avis aussi la raconter, et dans l’affirmatif pourriez-vous éventuellement citer celles qui à votre avis la montreraient avec la plus grande évidence ?
A mon avis, dans les cinq Fantaisies c’est vraiment cela le dénominateur commun de fond. Je voulais le souligner et le mettre en valeur. Quant à la musique du XXe siècle, j’oserais dire que ce n’est presque plus le même art que la musique baroque, classique, et romantique. Du coup, même si une aspiration vers l’infini il y a, ce n’est plus de la même façon qu’elle s’inscrit et s’exprime dans l’œuvre. Il y a d’ailleurs plein de domaines où l’on peut parler de l’aspiration vers l’infini. Les Pyramides, Les Fleurs du mal ou le vol de Gagarine la « racontent » tous, chacun à sa manière. En musique, je peux citer par exemple Stockhausen et Xenakis (parmi les plus grands). Mais est-ce qu’alors le mot « raconter » qui conviendra ? Leur musique précisément ne raconte rien. Elle fait peut-être signe, symbolise, procède de...
Quels sont vos prochains concerts et autres projets ?
Au mois de juin j’ai trois concerts au Théâtre de L’Ile Saint Louis (le 7, le 14 et le 17). Puis, en été, je vais jouer au Festival de Colmar (14 juillet, 11h30, Musée du jouet), au Château de Lavoute-Polignac (9 août), au festival de la Petite Malmaison (17 août, avec la totalité des « Cinq Fantaisies »). En septembre j’aborde la nouvelle saison au Théâtre de L’Ile Saint Louis, en octobre je joue au festival « Soirées de la musique contemporaine » à Tbilissi (Géorgie)...
En ce qui concerne mes projets, je vais faire de nouveaux programmes « thématiques », par exemple « Invitation à la danse », qui est déjà prêt, avec Weber, Schumann (Papillons), Liszt (Rhapsodie espagnole), entre autres. Un autre s’appellera « Paysages », mais celui-ci n’est pas pour tout de suite, il demande beaucoup de travail.


Pour écouter
Scriabine, extrait de la Fantaisie op.28
Georges Bériachvili, piano
avec l'aimable autorisation
du label
Polymnie
cliquez sur le triangle du lecteur
ci-dessous

ou cet autre lecteur

 

Pour vous procurer ce disque....

cliquez ici   (amazon)

Pour visiter la page archive des
"Disques du moment"...cliquez ici

Retrouvez une information sur
le site Piano bleu

Ne partez pas sans avoir lu
l'actualité du piano !

Suivez pianobleu.com
le site des amateurs
de piano

sur     
Inscrivez vous à la
newsletter de piano bleu
 

Aimez et/ou partagez cette page !

Retour à l'accueil de Pianobleu.com : le site des amateurs de piano