Beethoven Trois sonates Marie Josèphe Jude

Beethoven

Trois sonates

Marie-Josèphe Jude, piano

Sonate n°8 en ut mineur op.13
"Pathétique"
Sonate n°23 en fa mineur op.57 "Appassionata"
Sonate n°26 en mi b. majeur op.81
"Les adieux"
La pianiste Marie-Josèphe Jude a abordé les sonates de Beethoven dès son enfance mais elle n'aurait osé en enregistrer si René Gambini, directeur artistique du label Lyrinx, ne l'avait encouragé à le faire. Certes la multitude d'enregistrements qui en existent peut faire peur mais s'il est un compositeur dont il est plaisant de découvrir comment chaque interprète transmet ses "paroles", c'est Beethoven, d'ailleurs certains pianistes ont même enregistré plusieurs fois une partie ou toutes ces sonates... C'est dire si l'interprétation de sa musique peut en être différente dans le temps et à plus forte raison selon les pianistes.
C'est le côté humain du compositeur qui a depuis toujours fasciné Marie-Josèphe Jude, la sincérité des émotions fortes qu'il transmet à travers sa musique. Comme un acteur aime les rôles de personnages excessifs dans lesquels il peut jouer à fond des sentiments les plus extrêmes de la douleur à la joie, la pianiste apprécie de pouvoir exprimer musicalement toutes ces émotions, ce qu'elle fait avec un timbre, des nuances, une respiration et un rythme qui n'appartiennent qu'à elle, comme chez chaque être humain la douceur, la tristesse, la brutalité, la joie... peuvent s'exprimer très différemment.

Les trois sonates choisies par Marie-Josèphe Jude, qui montrent une évolution du style de Beethoven, ont toutes reçu un nom a posteriori généralement approuvé par le compositeur qui ne manqua pas cependant de faire part parfois de son désaccord. Sur les 32 sonates qu'il a écrites près du tiers a ainsi reçu un nom, ce sont souvent celles qui ont connu le plus de succès peut-être parce qu'elles parlent plus à leur auditeur et que ces noms ont augmenté leur attractivité mais pourtant ceux-ci semblent parfois un peu réducteurs ainsi pour ce qui est du sous- titre "Pathétique" attribuée à la sonate n°8 dont le rondo final est traversé par un caractère enjoué et n'a plus rien de pathétique.
Le qualificatif "Appasionnata" n'a été donné qu'après la disparition de Beethoven, elle est impressionnante tant par sa longueur que par son caractère dramatique qui persiste cette fois sur tous les mouvements, elle débute avec douceur mais très vite Beethoven s'exprime avec une voix puissante où le piano devient orchestre, une sonate dont, selon l'auteur du livret Yves Le Bras, estime que l'on ne sort pas indemne ni l'auditeur ni le pianiste et Marie-Josèphe Jude qui a bien voulu répondre à quelques questions à l'occasion de la sortie de ce disque confirme l'intensité qui s'en dégage immédiatement et se maintient tout au long.
Quant à la sonate "Les adieux" , ce sous-titre fut source de remarques véhémentes de Beethoven à son éditeur dans une lettre du 9 octobre 1811 après qu'il en eut connaissance, il y remet en cause la traduction française :"Je reçois à l'instant le "Lebewhol, etc, etc". Je vois qu'après tout vous avez publié d'autres exemplaires avec un titre en français. Pourquoi donc ? "Lebewohl " a un tout autre sens que "les adieux" Le premier est dit sur un ton cordial à une seule personne, le second s'adresse à une assemblée, à des villes entières."... Cette sonate est en effet en l'honneur de son ami et élève, l'archiduc Rodolphe, qui avait du quitter Vienne en raison de l'occupation par les troupes françaises et il est préférable de se référer aux titres que Beethoven attribua à chacun des mouvements : L'adieu, l'absence, le retour, car là encore il n'y a pas que du drame dans cette sonate qui en fait traduit un sentiment de tristesse, puis d'attente et enfin de joie ! Autant de sentiments que Marie-Josèphe Jude qui vit avec ses sonates depuis nombreuses années partagent par son piano avec une pulsation rythmique particulièrement dynamique, et des nuances très expressives, ainsi la joie du "Retour" au tempo "Vivacissimamente", mot qu'il est inutile de traduire, que vous pourrez écouter plus bas dans cette page .
Que représente Beethoven pour vous ?
Au delà de l'évidence du génie qu'est Ludwig van Beethoven, j'ai toujours été profondément touchée par le côté si humain, je dirais même humaniste de sa musique; il sait mieux que tout autre exprimer la souffrance, le désespoir profond, mais aussi la force de caractère, la joie rayonnante, et il le fait sans aucune concession, c'est cela qui me bouleverse; il y a quelque chose d'absolument direct, pas de fioritures dans le discours, une authenticité dans les émotions traduites.
Ce qui m'a toujours fascinée, c'est le côté excessif, l'entière conviction mise dans chacun des sentiments , qui nous oblige, interprètes, à fouiller en nous et à travailler sur le fil tendu des émotions. C'est aussi, comme Brahms, un architecte, et un compositeur qui rend le piano orchestral, la beauté de ces musiques réside aussi dans la difficulté à faire sonner comme un orchestre des partitions si complexes...
Dans quelle circonstance est né ce projet de disque avec le label Lyrinx ?
Le projet d'enregistrer Beethoven remonte déjà à quelques années; René Gambini, directeur artistique de la maison de disques Lyrinx, pour qui j'enregistre depuis 1993, m'avait entendue en concert jouer l'appassionata, et me poussait à l'enregistrer. j'avoue pour ma part, que cela m'intimidait : lorsque l'on regarde toutes les somptueuses versions existantes, on se demande vraiment ce que 'on pourrait y apporter !
Puis, l'idée a fait son chemin, et surtout, je me suis dégagée des considérations extérieures pour ne plus voir que mon désir personnel, et finalement le projet , en toute humilité, de présenter quelques sonates m'est apparu cohérent.
L'enregistrement s'est fait en studio, mais à présent, je sais que s'il y a d'autres projets, ils seront réalisés en public, lors d'un concert ; en effet, lorsqu'il a fallu choisir les prises pour le montage, je me suis rendue compte que les 1ères prises étaient de loin les meilleures de part leur spontanéité et leur ligne !
Vous débutez ce disque avec la sonate dite "Pathétique", c'est une des sonates les plus aimées par le public, vous-même qu'aimez-vous dans celle-ci et que pensez-vous du titre qui lui a été donné ?
Je comprends très bien que le public affectionne particulièrement cette sonate ; il est vrai que le début du premier mouvement, si déclamé, si théâtral, nous plonge tout de suite dans un univers de drame, tout en gardant un ton d'une grande noblesse. L'allegro qui suit, est d'une tension rythmique incroyable,et nous tient sans répit jusqu'à la fin... L'adagio cantabile est juste bouleversant de sonorité et de générosité ; je pense que c'est un grand moment de partage avec le public lorsque l'on se laisse transporter par cette mélodie à la fois simple et profonde. Quant au final, c'est un bijou de douce mélancolie, qui alterne les émotions, pour finir par un orage très beethovénien !
La sonate "Appasionnata" était parait-il la sonate préférée de Beethoven, c'est une sonate dramatique dans laquelle on entend une voix grave, comment vivez-vous l'interprétation de cette oeuvre très puissante et tourmentée et dont ne sort pas indemne ni le pianiste ni l'auditeur (cf le livret de votre disque) ?
Beethoven la considérait en effet comme sa plus grande sonate, jusqu'à la Hammerklavier (opus 106); il est vrai que l'on est dès les premières notes frappés par l'intensité qui s'en dégage ; et pourtant, le matériau musical est tellement minimal... un arpège, qui descend et remonte sur un rythme pointé qui reste en suspens sur la dominante ; le développement de ce thème nous emmène loin dans l'expression passionnée et contrastée de celui-ci. Lorsque je commence le mouvement lent, après le déferlement de la fin du 1er mouvement, je suis toujours saisie par le grand calme qui nous remplit alors ; les variations qui développent ce thème, d'une simplicité désarmante, offrent une progression d'un équilibre rare. Et le final, en effet puissant et tourmenté, est très complexe à interpréter, je trouve, car il est d'une grande intériorité, malgré l'écriture qui aurait tendance à favoriser la virtuosité ...
Avez-vous lu les lettres de Beethoven récemment rééditées et dans l'affirmatif que pensez-vous de celles-ci , est-ce un "outil" que vous conseillez à vos élèves ou éventuellement conseillez-vous d'autres ouvrages ?
Bien sûr, étant très proche des éditions Actes Sud (ils proposent une saison de concerts dans leur lieu incroyablement chaleureux qu'est la Chapelle du Méjan à Arles, à laquelle j'ai la chance de participer régulièrement), j'ai eu le privilège d'avoir cette réédition de la correspondance de Beethoven peu de temps après sa parution. C'est une mine d'or pour aborder sa musique, on peut cerner de façon beaucoup plus intime ses états d'âme, ses contradictions, et l'approche de l'homme et du musicien s'en trouve naturellement plus facile. Mais ceci est vrai pour toutes les correspondances, les écrits nous donnent à voir un aspect plus humain des compositeurs.
Ainsi au sujet du titre "les adieux" de la sonate n°26 Beethoven a écrit une lettre à son éditeur dans laquelle il remet en cause la traduction française :" Je reçois à l'instant le "Lebewhol, etc, etc". Je vois qu'après tout vous avez publié d'autres exemplaires avec un titre en français. Pourquoi donc ? "Lebewohl " a un tout autre sens que "les adieux" Le premier est dit sur un ton cordial à une seule personne, le second s'adresse à une assemblée, à des villes entières "... considérez-vous que cette explication comme celles qui sont finalement indiquées sur la partition sont importantes pour l'interprétation de la partition ?
Oui, bien entendu, chaque indice est précieux, toute indication est à prendre en considération pour nous aider dans l'interprétation d'une oeuvre ; le fait que Beethoven ait réagi au titre français, les "adieux" en nuançant de façon très subtile le sens que Lebewhol avait en allemand, nous donne une idée de la profondeur du sentiment qui doit se dégager de ce premier mouvement : je pense que cela induit le tempo que l'on choisit, la façon dont on va traiter les notes détachées pour éviter de leur donner trop de "légèreté" par exemple. On se sert de tout ce qui est écrit sur une partition , les indications de tempo, le choix de la mesure (4/4 ou 2/2 par ex), les dynamiques, pourquoi un F et pas un FF, P n'est pas PP, etc, etc... tout cela forge une cohérence dans l'interprétation et nous permet de nous libérer de tout ça une fois le travail effectué, pour se consacrer à l'expression des émotions au moment de l'exécution de la pièce.
A quoi avez-vous attaché le plus d'importance dans votre interprétation de ces trois sonates, chacune présentent-elles des difficultés très différentes ?
Justement, en écho à ce que j'ai dit précédemment, ce qui me guide dans l'apprentissage d'une oeuvre, est précisément ce travail de "fouille" et de compréhension du texte. En ce qui concerne ces sonates, il est vrai que, les jouant depuis près de 30 ans (!!), régulièrement, j'avais pas mal de réflexes inconscients, il m'a fallu quasiment remettre tout à plat quand le projet de l'enregistrement s'est concrétisé.
Chaque sonate possède ses difficultés spécifiques, et mon rapport à chacune d'entre elles dépend aussi de mon jeu, d'une façon globale: j'ai travaillé beaucoup sur les contrastes soudains, ma capacité à aller au bout des sentiments extrêmes, la colère, la douleur, le désespoir ; tout ceci n'aurait pas été évident il y a quelques années, mais je me suis énormément libérée ces derniers temps dans la prise de risque et l'audace d'affirmer les choses. Peut-être d'ailleurs grâce à ce temps passé avec Beethoven, où on n'a guère le choix, l'investissement est forcément total !
Parmi ces trois sonates y en-a-t-il une que vous aimez plus particulièrement aborder avec vos élèves, qui vous semble un "meilleur "atelier de travail" avec eux ?
Avec les étudiants, j'essaie d'aborder au moins 2 ou 3 sonates de Beethoven par an ; sur 4 ou 5 ans d'études au Cnsm, on essaie de passer sur à peu près tous les styles et les époques, on évite de les "spécialiser" déjà, et surtout on apprend ensemble à connaître les atouts et faiblesses de chacun... Du coup, je préfère discuter avec l'étudiant du choix des sonates que l'on va travailler plutôt que de lui en imposer, sachant que toutes lui apporteront quelque chose, et qu'il vaut toujours mieux partir du désir ! Avec le temps, j'ai pu constater que celles qu'ils avaient tout de suite envie de jouer sont les dernières sonates, et là , pour le coup je les invite plutôt à commencer par la 7ème ou la Pathétique, ou la 3ème, par exemple, avant de plonger dans l'opus 110 ; l'Appassionata est aussi très souvent réclamée, les Adieux beaucoup moins, parce qu'elle est moins directe, l'expression y est plus complexe .
Quels sont vos interprètes de références en ce qui concerne les oeuvres de Beethoven ?
De par ma professeur Maria Curcio qui était disciple de Schnabel, j'ai beaucoup écouté ses versions, qui restent un modèle de naturel et de phrasé pour moi; je suis fascinée par Richter, pas seulement pour Beethoven d'ailleurs ; j'ai une admiration sans bornes pour le style de Rubinstein, son élégance ; Arau pour son jeu majestueux, et plus proche de nous, Barenboïm pour l'intelligence de tout ce qu'il joue... mais j'en oublie, c'est sûr ! 
Jouez-vous l'intégralité des sonates et les aimez-vous toutes autant les unes que les autres ?
Je ne joue pas toutes les sonates, non ; j'aimerais beaucoup travailler celles que je n'ai pas encore abordée, il m'en reste une dizaine, mais pas des moindres!(106, 111... ) ; il faudrait s'y consacrer tout à fait durant une période, et depuis pas mal d'années je travaillais surtout Brahms pour l'intégrale. Pour ce qui est de mes préférences, je les aime en effet toutes, il n'y a pas une note qui n'ait sens ... Ensuite, je parlerais plutôt d'affinités entre mon tempérament et le caractère de certaines sonates, mais je suis sûre qu'en approfondissant le travail, on parvient à se laisser porter par la force de cette musique, même si l'évidence n'est pas au départ.
L'une de ces trois sonates est-elle programmée lors de l'un de vos prochains concerts ?

Les 3 sonates du disque sont programmées pour tous les récitals que je donnerai cette année ; pas forcément les 3 à la fois, mais souvent Pathétique-Appassionata en 1ère partie, ou Adieux-Appassionata...

Pour écouter
Beethoven
Sonate n°26 op 81 "Les Adieux"
Le retour - Vivacissimamente
Marie-Josèphe Jude, piano
avec l'aimable autorisation
du label
Lyrinx
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